De l’art de ne pas parler (que) de la corrida
Rencontre avec David Ayala

On l’a vu tant dans tant de films, silhouette replète, moues inoubliables, taulard comédien avec Kad Mérad ou homme des bois chez Alain Guiraudie, qu’on s’était fait à l’idée : David Ayala serait à jamais un de ces seconds rôles comme le cinéma français en dresse de film en film le portrait. Un second rôle qu’on aimait à retrouver, mais second… Et puis le fulgurant succès de la série D’Argent et de Sang, où il jouait un touchant escroc, est passé par là. Et une nomination aux César (dans un second rôle…). Et David Ayala a pris une toute autre stature. 

Aujourd’hui cet enfant du pays - études au conservatoire national d’art dramatique de Montpellier, enfance arlésienne - enchaîne les tournages. Et s’il est revenu au théâtre, après sept ans d’absence, c’est pour défendre ce spectacle qui lui tient à cœur : De Lumière. Sur la corrida ? Oui et non. Rencontre.

Ce spectacle vous baptise fils de torero… On a tout de suite envie de vous demander quelle est la part d’autobiographie dans ce seul en scène…

D.A. : Au départ Jean-Baptiste Tur, le concepteur du spectacle, voulait mêler les histoires de trois garçons grandis dans les villes taurines de la région, Arles, Nîmes, Béziers. Puis il a abandonné l’idée, et je me retrouve avec un personnage qui s’appelle David comme moi mais qui amalgame l’expérience des deux autres avec la mienne. Ce qui est vrai, c’est que mon père a été - brièvement - banderillero, péon, puis homme de piste à Arles. Ce qui est vrai aussi et qui est raconté dans la pièce, c’est que j’étais dans les gradins à Arles en 1989 quand Nimeno a été grièvement blessé par un Miura.

Ce spectacle est un plaidoyer pour la corrida ?

D.A. : Pas du tout. Le spectacle parle de plein d’autres choses : de la jeunesse, de l’amour, de la tendresse. Et parallèlement de la corrida. Il n’y a jamais d’images sanglantes ou cruelles dans les vidéos qui sont projetées derrière mon personnage. On y voit des jeunes toreros qui sont dans des écoles taurines, une étoile montante de la tauromachie, Carlos Olsina, mais le spectacle, appuyé sur une musique jouée en live, va bien au-delà.

Vous seriez malheureux si la corrida venait à être interdite ?

D.A. : Oui. Mais je trouve que le débat est faussé. C’est très compliqué de tenir une conversation avec les anti-corrida : il y a de la manipulation, du mensonge, une paresse intellectuelle dans les arguments. Et surtout une ignorance. Je suis très dur avec ça. S’il y a des anti-corrida, je ne débattrai pas avec eux. Ou alors on organise un vrai débat et il faut que les gens soient à la hauteur. On ne peut pas baser le débat sur la souffrance animale. C’est un des éléments de la corrida. Mais il faut se hisser au niveau du débat : qu’est-ce que c’est que la cruauté ? la violence ? la mort ? le spectacle de la mort ? Eux en restent au niveau de l’invective, de l’injure… Mais je le redis : le spectacle n’est pas du tout là-dessus. Il est dans le développement d’une culture, d’une transmission aux spectateurs. C’est ce qui m’a plu : ce spectacle, c’est un questionnement. Et subtil.

Ancré comme vous l’êtes dans cette terre du sud, y-a-t-il une schizophrénie avec le monde de la culture parisien ?

D.A. : Je suis revenu habiter dans le sud après 22 ans à Paris. Et c’est vrai que je ressens quelque chose de ces terres du sud. Ce qui ne veut pas dire que je suis un ultra-défenseur de la tradition. Mais je sens un attachement, c’est vrai. Bon, la corrida, c’est à part parce que c’est lié à mon père, lié à la jeunesse : on allait faire la feria, courir après les taureaux dans les rues… Après, bien sûr, il y a toujours eu une différence entre le parisianisme et la culture locale. Mais je trouve que les villes du sud se gentrifient, se boboïsent tellement que la différence s’estompe.

Un mot sur cette série, D’argent et de sang, qui vous a donné une autre dimension. Vous le ressentez de cette façon ?

D.A. : C’est sûr. La série a donné une impulsion, elle a été un révélateur. Maintenant j’ai plus de latitude pour défendre de vrais projets de cinéma. Il y a eu en plus le ricochet avec la nomination  aux César. Et du coup, je ne suis plus cantonné à des rôles secondaires, à des seconds couteaux. Même si c’était de beaux seconds couteaux.

Là je tourne un film de Mourad Winter, celui qui a fait L’amour c’est surcoté, et dans une série qui s’appelle Furie. Des choses très différentes. Avec en intermède, ce projet théâtral qui me tient vraiment à cœur.

De lumière
de Azilys Tanneau
Mise en scène de Jean-Baptiste Tur

Vendredi 6 juin à 19h
Samedi 7 juin à 19h
Dimanche 8 juin à 19h
Hangar Théâtre, Studio 1

Informations et réservations

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Photo du spectacle De lumière © Nathalie Sapin