Au bonheur des souvenirs
Ce sont comme cela des signes qui ne trompent pas. Le samedi 8 juin, peu avant 10 heures, ils étaient là, pressés devant le théâtre Jean-Claude Carrière. Ils étaient là, les fidèles du Printemps, les grognards de la programmation, ceux qui ont tout vu, tout tenté en près de 40 ans de festival. Mais le lendemain, ils n’étaient plus seuls : toujours à cette heure insolite de 10h, sont arrivés, miracle du bouche-à-oreille, de forts contingents de spectateurs tout neufs, jeunes, curieux, prêts à embarquer en ce lumineux dimanche d’été pour un voyage de onze heures dans la noirceur durassienne.
Et si, à l’heure du bilan, on évoque le spectacle de ces deux matinées, c’est que cette 39ème édition du Printemps des Comédiens, c’est d’abord cet événement : l’exploration tentaculaire, multiforme, marathonienne, bouleversante de l’univers de Marguerite Duras par Julien Gosselin et sa formidable troupe de jeunes acteurs. « La sensation grisante d’avoir vécu une expérience d’une profondeur exceptionnelle », a écrit Fabienne Darge dans Le Monde.
Comme quoi, on peut devoir rogner sur la longueur du festival, sur le nombre de spectacles et n’en pas moins ressortir avec la satisfaction de maintenir haut la place du Printemps des Comédiens, deuxième manifestation de théâtre de France. Car il serait injuste bien sûr de voir cette édition au seul prisme Duras-Gosselin. Il y eut dès le premier soir cette formidable adaptation du livre de Svetlana Alexievitch par Julie Deliquet, il y eut ces actrices poignantes de naturel racontant une guerre pas si lointaine qui, hélas, fait écho à une guerre plus proche encore.
Il y eut cette jubilation débridée de tout l’amphi devant les danseurs-chanteurs - du Gluck chanté par des Congolais ! - de Coup Fatal. Il y eut encore les délicates marionnettes de William Kentridge à qui l’écrin de l’Opéra Comédie convenait si bien. Et Molière débridé derrière ses masques. Et David Ayala drolatique et touchant en grand enfant né sous l’inconfortable signe du toro. Et l’intimisme du malheur de Pauline Bureau. Et la création de nos amis des Treize Vents Nathalie Garraud et Olivier Saccomano. Et des cirques bien sûr : Rasposo dans une forme éblouissante, Décrochez-moi-ça poétiquement insolite… Et puis des collégiens disant du Shakespeare, et des comédiens autres, que sublime, dans leur écrin de La Bulle Bleue, le si délicat travail de Brigitte Négro et Caroline Cano…
On en oublie dans ce kaléidoscope des souvenirs, on est injuste. Mais c’est que le Printemps des Comédiens, même raccourci, même cantonné sous sa - merveilleuse - pinède, offre une telle palette d’émotions qu’on a du mal à tout restituer. Oui : un grand festival.